« L’œil était dans la trombe… » un article de Rolross sur le roman « Kaïn »

Publié le : 06/10/2021 12:27:30
Catégories : Presse

« L’œil était dans la trombe… » un article de Rolross sur le roman « Kaïn »

 L’ŒIL ÉTAIT DANS LA TROMBE…

Cette année, les éditions « Au Vent des Îles » ont publié un second roman calédonien. Après « Les enchaînés » de Franck Chanloup qui dénotait déjà dans la production fictionnelle courante, « Kaïn » de Joël Simon décoiffe aussi tant par son sujet – le passage ravageur d’un cyclone d’anthologie – que par son style ébouriffant. Avis de tempête… littéraire !

Je vais commencer par le gros et seul bémol de cet ouvrage. À savoir une couverture, au graphisme BD, qui peut faire croire à tort que ce roman n’est destiné qu’aux ados. Je dois confesser que j’étais passé plusieurs fois à côté sans aucune tentation de m’en saisir à cause de ladite couverture à la naïveté tape-à-l’œil et ce malgré la signature du doué Titouan Lamazou.

Mais, très vite franchi cet obstacle visuel, l’intérieur vaut le déplacement tant on est happé d’entrée par la furie de ce cyclone, élément déchaîné, et par ce texte qui balaie toute la restriction ci-dessus en un clin d’œil, si l’on ose dire. Kaïn est donc le nom de cet élément naturel incontrôlable – un vrai K d’école, sa force dépassant toutes les échelles connues – et fait référence bien sûr au faux-frère biblique qui va paradoxalement révéler une fraternité multiethnique improbable dans un microcosme nouméen. Bref, l’œil révélateur de Kaïn est dans la trombe comme ne l’a pas dit Victor Hugo dans sa « légende des siècles ».

Kaïn et la belle

Ce squat fraternel, huis-clos où se déroule une grande partie de l’intrigue, est l’immeuble « Taureau », situé près d’un quai célèbre de la « Ville » que tous les Calédoniens reconnaîtrons aisément. Une translation ludique de tous les noms attachés aux rues, quartiers et lieux emblématiques de Nouméa permet à l’auteur de narrer une aventure picaresque avec une imagination débordante et une ironie mordante. Ce qui n’est pas vraiment une surprise car l’auteur, loin d’être un novice, avait déjà publié dans cette même maison d’édition. L’humour étant « une politesse du désespoir » – formule indépassable du génial Chris Marker –, Joël Simon n’hésite pas à tirer à boulets rouges sur les travers des comportements humains et politiques de notre société dans un feu d’artifice de mots réjouissants et d’expressions jubilatoires. De fait, la tragédie est souvent drôle tout en conservant l’indispensable émotion.

Sur le fil du rasoir, il évite le manichéisme, ses personnages hauts en couleur restent attachants et crédibles malgré des scènes d’action à rebuter un Indiana Jones en pleine forme. Les chapitres courts alternent le présent catastrophique et les différents passés des protagonistes qu’un destin impitoyable a réuni dans ce misérable bâtiment. Une histoire d’amour fragile naît dans ce tourbillon de sentiments – c’est Kaïn et la belle –, ainsi qu’un accouchement échevelé et quelques morts poignantes car, c’est bien connu, Thanatos côtoie toujours Eros. Néanmoins, si l’on sort épuisé de ce maelström de mots, on est également ravi par ce roman flamboyant, persuadé que le vent mauvais peut aussi apporter des satisfactions. Et, en premier lieu, une belle lecture !

Rolross – septembre 2021

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