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Quel entendement du monde et de la société se fait jour dans ces rumeurs publiques ou privées que nous appelons « mythes » et auxquelles les Kanak de Maré accordent le statut de pierres ? Cet essai donne à entendre les récits des gens de cette île pour tenter de goûter avec eux, en dévoilant les potentialités poétiques de leur langue, le tour, le style et la teneur de l’argument. On ne peut manquer, en effet, d’admirer le jeu formel des combinaisons lexicales qui structurent la fiction en différents niveaux de discours, ou de s’étonner encore des inventions anagrammatiques. Point de ruse rhétorique chez le « diseur de pierres » - qu’une anthropologie fonctionnaliste prétend roué et arc-bouté dans une quête incessante d’avantages politiques -, point de ruse sinon celle qui provisionne l’auditoire en volupté narrative.
La langue rythme alors l’exposé critique des affaires humaines auxquelles sont appliquées les propriétés logiques des classifications animales et végétales. Dans les termes du bestiaire insulaire ou de la botanique indigène, se déploie une spéculation rigoureuse sur les règles et l’histoire des échanges matrimoniaux, sur les contradictions inhérentes à leur renouvellement. Les repreneurs de mythes, personnages de haut statut social instruits des conflits dont l’histoire est cousue, prétendent ainsi raison garder ; ils reconsidèrent à l’aune littérale de la règle les relations problématiques qui marquèrent l’histoire de leur groupe.