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Younn Locard et Florent Grouazel s’attardent dans « Éloi » sur la morale coloniale, la croyance en une vocation missionnaire de l’Europe, la curiosité scientifique comme moteur d’exploration. Le huis-clos, joliment mis en œuvre, prend alors des allures de débat jamais ronflant sur l’intérêt et les ressorts de la « grande œuvre civilisatrice ». Éloi, objet d’étude exotique et probable trophée, cristallise les rivalités entre un prêtre gorgé d’idéaux et en quête d’évangélisation et le naturaliste à la poursuite d’une gloire scientifique ridicule. Affleurent alors les représentations contradictoires d’une époque, entre paternalisme bienveillant et condescendance, ambition malsaine, mépris de l’autre ou foi aliénante dans le progrès. La diversité des personnages et leurs ambitions personnelles participant alors d’un tableau nuancé de la réalité.
Maîtrisée, la narration ménage une belle tension, chaque figurant croyant s’exprimer au nom d’un « devoir » (religieux, scientifique) vis-à-vis de peuples jugés « en retard ». Le ton, sarcastique sans en donner l’air, démonte alors mythes et préjugés pour révéler des quêtes illusoires, d’une violence crue (voir les saisissantes scènes de fond de cale, sombres réminiscences du commerce esclavagiste). Au dessin, le trait expressionniste mais classique de Grouazel dynamise le huis-clos et épouse le propos pour lui donner toute sa force. Et même si l’angle narratif paraît à la longue scolaire dans ses oppositions, l’album vaut surtout par son sujet, traité avec justesse et sans fausse note. Une BD historique originale qui donne à réfléchir. Plutôt rare.
Source : www.bodoi.info/eloi/